Enseignement et santé mentale : constat de délabrement.

Publié le par Frédo45

Enseignement et santé mentale : constat de délabrement.

L'état de délabrement de la santé mentale n'est plus à démontrer. Et au sein des établissements scolaires, l'abandon par les pouvoirs publics se fait encore plus sentir. 

Burn-out ! A quand la reconnaissance ?

Le syndrome d’épuisement professionnel, plus communément appelé burn out, n’est toujours pas reconnu comme maladie professionnelle en France alors qu’elle l’est par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Ce refus de légiférer sur ce sujet démontre, une nouvelle fois, le manque d’attention porté par les pouvoirs publics aux troubles psychologiques et mentaux. Il en va de même pour la pénibilité des métiers. On évoque aisément les métiers manuels et on les qualifie aisément de « pénibles ». Ce qui est vrai ! Mais les professions les plus soumises aux risques psycho-sociaux ne le sont jamais. Or, ils entraînent une fatigue comparable et surtout peuvent aboutir à des issues dramatiques. Une étude de 2015 atteste que plus d’un actif sur 10 est concerné par le syndrome d’épuisement professionnel. Les professions les plus touchées ? Les métiers de l’agriculture mais aussi les artisans-commerçants, les cadres et les enseignants.

La reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle (NDLR : actuellement, le salarié doit amener la preuve du lien entre son travail et sa maladie) et plus généralement, celle de la pénibilité liée aux risques pyscho-sociaux de certains métiers comme les nôtres est un enjeu syndical de taille. Le syndrome d’épuisement professionnel doit être inscrit dans le Code de la Sécurité Sociale.

Enseignant, un métier pénible.

Lors de la bataille contre la réforme des retraites, de façon (trop) diffuse), la question de la pénibilité au travail a été soulevé. Rappelons que lors du quinquennat précédent que certains critères de pénibilité comme l’exposition à des produits toxiques ou le port répété de charges lourdes avaient été supprimés. Il a été question un temps de les réintroduire. Cependant, jamais, il n’a été question de discuter de la pénibilité psychologique d’un métier. Et pour nous, enseignants, c’est un drame. Car qu’est-ce qui fait que nous ne nous voyons pas à 64 ans dans une classe à enseigner auprès de nos élèves ? Ce n’est pas tant l’aspect physique de notre métier, même si certains postes, en maternelle par exemple, peuvent entraîner des indispositions physiques. C’est bien parce que la charge mentale dans notre profession est lourde. Nous sommes au contact de la misère sociale, culturelle et affective de certains de nos élèves. Ces chocs auxquels il est impossible de s’habituer, nous les subissons de plein fouet. Nous en sommes les réceptacles et les pare-feu. Nous emmenons ces problèmes à la maison car il est difficile de s’en détacher lorsqu’il s’agit d’enfants que l’on voit tous les jours.

A cela s’ajoutent la charge de travail et la pression inhérente à notre métier : nous avons la responsabilité de l’avenir des enfants qu’on nous confie. Psychologiquement, notre métier est pénible. Et le droit ne le reconnaît pas.

Mais, au-delà de ces caractéristiques propres à notre métier qui ne disparaîtront pas, c’est surtout la pression hiérarchique et ministérielle qui pèse sur la santé mentale des enseignants. C’est ce management, ou pilotage selon la mode du moment, qui fait peser sur nos épaules un poids démesuré. On le sait, l’Ecole est responsable de tous les maux et par ricochets, ses professeurs. Injonctions contradictoires, lubies de ministre ou de président… ou de femme de président, inclusion à marche forcée, obligation d’innovation, programmes surchargés, campagnes médiatiques et politiques contre différentes pédagogies, prof bashing… Tout cela concourt à culpabiliser et déqualifier les enseignants. On retrouve cela dans de nombreux services publics pour qui l’adage « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage » est appliqué à la lettre. Tout cela entraîne une perte de motivation et de sens à notre métier.

De plus, la gestion des personnels où chacun d’entre nous a une anecdote démontrant le manque d’humanité de l’Education Nationale vis-a-vis de ses salariés, est aussi source de souffrance. L’opacité des opérations de mouvement, la pseudo-méritocratie instaurée par la classe exceptionnel et la fin du paritarisme ont sonné le glas du nécessaire besoin de confiance dans l’institution.

Enfin, dans un contexte où les burns-outs et les démissions explosent, où les suicides d’enseignants sont souvent masqués par le ministère, où bon nombre d’enseignants las songent à quitter l’Education Nationale, où les derniers résultats des concours démontrent le manque d’appétence pour la profession, l’absence de suivi médico-psychologique des salariés de l’Education Nationale, est tout simplement incompréhensible. Sans compter que les CHSCT ont été tout bonnement supprimé, rappelons-le.

Une inclusion au rabais

Du côté des élèves, le constat est le même. Le manque de moyens empêche une prise en charge efficace. Cela engendre une souffrance des élèves, des parents et des enseignants. De plus en plus de jeunes passent aux urgences pour des états dépressifs, pour des idées suicidaires, pour des troubles anxieux, pour des déscolarisations, mais aussi pour des troubles du comportement alimentaire. Santé Publique France indique que les chiffres n’ont pas diminué en 2022. En parallèle, un quart des postes en pédo-psychiatrie n’est pas pourvu et le nombre de praticiens a été divisé par 2 en 15 ans. Du fait de ce manque de moyens, les pédo-psychiatres admettent trier les patients en fonction de la gravité des troubles.

Dans nos classes aussi, le manque de moyens, notamment le manque de psychologues scolaires et de maîtres spécialisés a un impact terrible sur le climat scolaire et sur les progrès de tous les élèves. Noyés dans la multitude de cas, les psychologues scolaires sont souvent obligés de délaisser le suivi des élèves pour ne pas mettre en péril les orientations. L’inclusion à marche forcée, sans moyens supplémentaires, que ce soit en terme d’AESH ou de réduction des effectifs, amplifie le phénomène et engendre des tensions au sein de la classe, entre parents et enseignants en première ligne face à l’inertie des pouvoirs publics.

 

Une société malade et des pouvoirs publics aveugles

En France, 13 millions de personnes seraient atteintes de troubles psychiatriques en France, la moitié environ ne serait pas traitée et suivie comme il se doit. Parmi ces troubles, on peut citer la dépression, les addictions diverses, les troubles alimentaires ou bien encore la bipolarité ou la schizophrénie. Tous ces troubles rendent la vie de millions de français impossible et peuvent mener à des issues dramatiques. L’INSERM estime le taux de suicide en France à 12,3 pour 100.000 habitants.

A cela s’ajoute la crise sanitaire qui n’est pas sans conséquence sur la santé mentale des Français. D’après un rapport de la DREES, les troubles anxio-dépressifs et des difficultés de sommeil ont augmenté dès le début de la pandémie. Cependant, globalement, selon cette même enquête, le nombres de suicides et d’auto-mutilations suicidaires a diminué durant cette période, dans la lignée des autres études. Cependant, quand on y regarde de plus près, on note une hausse des troubles et des passages à l’acte chez les adolescents et jeunes adultes, notamment les jeunes filles (pour rappel, 75 % des suicides concerne des hommes). Le rapport note aussi une différence notable entre les populations défavorisées et les populations aisées, où le suicide est moins présent.

Ces chiffres font écho au malaise des praticiens qui réclament, depuis des années, davantage de moyens pour la médecine psychiatrique. A l’instar des autres secteurs hospitaliers, la psychiatrie a, elle aussi, vu son nombre de lits, déjà trop faible, diminuer. Le chiffre de 31.000 lits en 25 ans est évoqué par Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, rien que pour cette discipline de santé. Ainsi, les structures sont systématiquement surpeuplées. Cela a un impact indéniable sur le suivi des patients et la qualité du service.

Du côté du suivi psychologique, ce n’est guère mieux. Les psychologues (du public comme du privé) ont fait part de leur mécontentement face aux propositions des gouvernements de l’ère Macron. Premier grief, le plan « Mon psy » qui oblige à passer par un médecin traitant pour bénéficier de séances gratuites auprès d’un psy et leur limitation en nombre alors que certains patients en ont besoin de davantage. Autre source de mécontentement : l’obligation de rendre compte au médecin prescripteur et à l’Agence régionale de santé (ARS), ce qui viole le devoir de confidentialité. Et là encore, derrière les intentions louables, un constat implacable et pourtant devenu banal : le manque de praticiens, notamment dans la sphère publique, qui ne permet pas de traiter correctement tous les patients.

Dossier publié dans le Fenêtres sur Cours 45 de juin 2023

Publié dans Education-Santé

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